Comment changer les pratiques politiques pour faire gagner les forces progressistes ?
Introduction (P. Viveret)
Résumé :
La préservation de la vie et de la paix sur terre nous impose aujourd’hui de faire face à des urgences écologiques, sociales, démocratiques et diplomatiques qui laissent très peu de temps aux forces progressistes pour reprendre le pouvoir et inverser le cours dramatique des évènements.
1e Partie :
Une culture politique fondée sur la compétition
La dérive des pratiques politiques dans le cadre des institutions de la Ve République conduit aujourd’hui à un dévoiement de notre démocratie, qui devient peu à peu le simple habillage trompeur d’un exercice autocratique et de plus en plus autoritaire du pouvoir. L’élection présidentielle a été progressivement placée au centre de la vie politique, au détriment de tous les autres scrutins et de toutes les institutions intermédiaires qui en ont été rendues dépendantes. Le pouvoir législatif et les corps intermédiaires se voient de plus en plus marginalisés et méprisés par un pouvoir exécutif technocratique et centralisé. Les citoyens sont peu à peu ramenés au rang de sujets, écartés de la vie politique entre des échéances électorales aux choix restreints, ce qui les conduit à se désintéresser de l’action politique démocratique, en cédant aux fausses promesses des extrêmes ou en exprimant leur désaccord par des révoltes dispersées, réprimées dans la violence.
Cette dérive des pratiques politiques pendant la Ve République a progressivement conduit à résumer toute la vie politique à une compétition entre les ambitions personnelles et entre les formations politiques visant à l’hégémonie. Le choix des champions a pris le pas sur le débat des idées et entravé la démarche de coopération nécessaire à la construction d’un projet commun. Les primaires sont un point culminant de cette désastreuse culture de compétition, poussant les candidat e s d’un même camp à se critiquer ou se discréditer mutuellement, à surenchérir sur les concurrents avec des promesses inconsidérées qui, non tenues par la suite, renforcent le désintérêt des électeurs pour la politique. Mais on retrouve les effets négatifs de cette culture dans toutes les strates de la vie politique, locale, régionale et nationale.
C’est cette culture de la compétition qui a empêché les organisations écologistes et sociales de créer un rassemblement sincère, équitable et stable à même de leur permettre d’accéder au pouvoir ou de l’exercer durablement.
Les effets de cette culture de compétition et de personnalisation exagérée de la politique ont perverti la vie politique de plusieurs façons.
D’abord, elle conduit chaque formation à une grande intransigeance sur ses propositions, pour mieux se démarquer de ses concurrentes, y compris du même camp. Chacune affirme ses propositions comme les seules possibilités de résoudre un problème et en promet la mise en oeuvre à l’avance. Il y a là une contradiction majeure de la part de ceux qui appellent à une VIe République et se comportent encore aujourd’hui comme s’ils pouvaient demain diriger par décret « royal ».
Pourtant, le retour à une vraie démocratie parlementaire souhaitée par tous suppose que ces mesures fassent l’objet d’un débat législatif et/ou public impliquant les citoyens. C’est ainsi que les éventuels désaccords (bien moins nombreux et moins insolubles que la compétition entre eux les pousse à le prétendre) entre les organisations progressistes devraient être surmontés après l’obtention d’une majorité parlementaire grâce à leur coalition.
Ensuite, chaque formation politique cherche systématiquement à prendre l’ascendant sur les formations avec lesquelles elle pourrait constituer une majorité parlementaire pour pouvoir exercer son hégémonie sur tous les aspects de la gouvernance (distribution des rôles, décisions majeures, priorités). Cela entraîne une forte défiance entre les différentes composantes d’une éventuelle union, due à la crainte de perte d’identité sous l’hégémonie d’un parti dominant électoralement. Les règles de financement public des partis, via leurs résultats aux élections législatives, impriment dans les institutions cette culture de compétition, en rendant moins aisée la gestion des financements au sein d’un collectif, surtout sous la coupe d’un parti leader.
Enfin, tous les acteurs de la politique et ceux qui gravitent autour d’eux (media, communicants, instituts de sondage, lobbies, voire associations et ONG) ont complètement intégré cette culture et la renforcent en s’y pliant et en l’utilisant à leurs fins. Cela appauvrit sensiblement le débat public, puisqu’aucune personnalité, si brillante soit-elle, ne peut avoir la performance d’une équipe plurielle sur tous les sujets politiques, économiques, techniques et scientifiques que la conduite d’un pays et que la compétition entre les personnalités pousse à réduire le nombre de sujets de débat pour mieux mettre en valeur les différences entre elles. Réduire l’information politique à l’analyse des chances et vertus d’une « figure incarnant » un projet est une facilité appauvrissant la démocratie, que n’ont pas manqué d’utiliser en tout premier les plus grands dictateurs de l’histoire.
Toutes ces raisons conduisent à faire de l’élection présidentielle l’alpha et l’omega de la vie politique en France et à réduire la démocratie à la promotion des ambitions personnelles, alors que ce sont bien les élections législatives qui doivent conduire à déterminer les orientations de la politique à mettre en oeuvre et la composition du gouvernement. Aujourd’hui, tout est fait pour que ces élections ne servent qu’à donner une majorité parlementaire aux ordres de la Présidence. Faut-il s’étonner alors que cela pousse le plus haut personnage de l’Etat à se positionner comme le décideur de tout (« omni-président »), assisté de « collaborateurs » ministériels et de technocrates, dans le plus grand mépris du rôle des corps intermédiaires ?
Il est donc nécessaire, avant même des réformes constitutionnelles qui puissent les encadrer de façon plus correcte, de proposer un changement des pratiques politiques, fondée sur une culture de la coopération. Nous proposons dans ce qui suit une démarche innovante, en rupture radicale avec cette logique délétère, pour créer un rassemblement large, stable et puissant des organisations écologistes et sociales, qui redonnera confiance aux citoyen ne s et remportera la victoire aux prochaines échéances électorales.
2e Partie :
Les objectifs de notre démarche
Premier objectif :
Surmonter les difficultés qui empêchent de constituer un rassemblement large.
- Contrer la tentation hégémonique d’un parti sur les autres en évitant les négociations bilatérales successives à l’initiative d’un parti leader et en organisant des échanges multilatéraux ouverts à tous ceux qui souhaitent être partenaires de l’union. Cela peut parfaitement se faire de façon progressive, en incluant dans les discussions les nouveaux partenaires au fur et à mesure de leur engagement.
- Lever les craintes de perte d’identité ou d’effacement de certains partenaires au sein de la coalition en assurant à chaque organisation, avant même le début de la distribution des places, des postes et des charges, une représentation minimale équitable suivant une clef de répartition juste, négociée et adaptable dans le temps.
- Rédiger une Charte qui expose, d’une part, le projet de société commun, les valeurs partagées, à détailler ensuite sous forme de programme, et, d’autre part, les règles de construction et de fonctionnement des listes de rassemblement, y compris la clef de répartition et un Conseil des sages paritaire, composé de personnes non-candidates issues de toutes les composantes, chargé de veiller au respect de la Charte et d’arbitrer les éventuels litiges.
- Ouvrir la représentation politique à des organisations et des personnalités de la société civile qui ne peuvent pas, dans le cadre des institutions et des règles de financement en vigueur actuellement, y accéder, pour ramener vers le débat politique des citoyens qui ont perdu confiance dans les partis et se sont tournés vers des organisations visant des objectifs spécifiques, pourtant intégrables dans le projet commun.
Deuxième objectif :
Remettre le pouvoir législatif au centre de la vie politique
- Replacer la campagne pour les législatives au centre de la stratégie d’union, puisque c’est le résultat de cette élection qui détermine l’orientation du prochain gouvernement, et redonner ainsi la primauté au législatif sur l’exécutif, en négociant d’abord un programme d’union, puis un accord de législature (politique, électoral et financier), avant de choisir les personnes les plus aptes à le porter à l’Assemblée Nationale.
- Choisir collectivement et annoncer avant ces élections une équipe gouvernementale pluri-partisane composée de personnalités compétentes pour que les électeurs sachent non seulement pour quoi, mais aussi pour quel gouvernement ils votent, et que la distribution des postes de responsabilité n’est ni le « fait du Prince », ni la conséquence de tractations politiciennes pour construite une majorité parlementaire après l’élection présidentielle, privilégiant les « équilibres » politiciens plutôt que la compétence des personnes.
- Redonner au seul gouvernement son rôle de conduite de la politique, sous le contrôle du Parlement, en faisant désigner par l’équipe gouvernementale la personne qui, en cas de victoire aux législatives, prendra la fonction de Premier Ministre, chef du gouvernement.
- Redonner à la Présidence de la République son simple rôle de garante des institutions, de l’application du programme d’union et de représentation de la France, en faisant élire par les membres de l’union une personne de haute valeur morale pour occuper ce poste.
Troisième objectif :
Développer une culture de coopération
- Accepter que le programme de chaque partenaire ne puisse être a priori inclus dans son entier dans le programme d’union et que chaque organisation puisse, en marge des campagnes ou des travaux d’union, exprimer ses exigences marginales par rapport aux mesures agréées ensemble, sans pour autant remettre en cause les choix collectifs.
- Construire en commun un programme permettant d’atteindre les objectifs généraux fixés dans le projet de société exposé dans la Charte, en y intégrant les propositions et priorités partagées, puis les mesures à visée commune, mais dont les modalités ou le calendrier font débat, et les mesures de moyen-long terme, ainsi que les moyens de les financer et un calendrier de mise en oeuvre.
- Lister et argumenter les désaccords entre les partenaires, de façon, si ces désaccords ne peuvent être résolus par des négociations préalables aux élections, à préparer un débat parlementaire et public, voire une consultation citoyenne, s’appuyant sur des études et une information complète et contradictoire sur chaque sujet.
- Diffuser les pratiques ainsi négociées au sein des instances locales des organisations partenaires, de façon à appliquer ces méthodes de construction de rassemblement pour toutes les échéances électorales locales.
- Impliquer le plus possible les citoyens dans l’élaboration des propositions, notamment au niveau local, ou via la participation à des Conventions Citoyennes ou à des préférendums.
- S’efforcer de désigner à tous les niveaux des équipes d’élu.e.s représentant le plus fidèlement possible la structure de la société, en faisant notamment place aux catégories moins bien représentées habituellement.
3e Partie : Que faudrait-il faire pour y parvenir ?
Cette partie présente des sous-objectifs opérationnels (donc exprimés au futur) et suggère des dispositions qui devront faire l’objet de négociations au coup par coup, en fonction du type de scrutin et des partenaires présents, et sont donc exprimées au conditionnel.
Prendre l’initiative de listes ouvertes
Nous devrons d’abord lancer systématiquement pour chaque type d’élection une initiative de « Liste Ouverte de Rassemblement » des forces progressistes, dont les règles de construction respecteraient les principes inscrits dans une Charte Commune et seraient appliquées sous le contrôle de Comités (ou Conseils des sages) constitués de personnes non-candidates. Plus ces initiatives seront multipliées, plus la culture de coopération prendra le dessus sur l’habituelle compétition des égos et des partis et plus la capacité à s’unir deviendra évidente et efficace. Une première initiative serait la bienvenue pour les élections européennes.
Devraient suivre des initiatives locales pour les élections municipales, pour servir de galop d’essai avant les échéances de 2027.
En priorité négocier la clef de répartition La représentation équitable au sein de l’union est la première et plus forte garantie donnée aux partenaires sur leur capacité à garder leur identité, à être entendus et impliqués dans les travaux communs. Il est donc primordial de la définir avant toute discussion sur la (les) place(s) accordée(s) à chaque partenaire. Les informations habituelles (sondages d’opinion, résultats aux élections précédentes) ne sont pas pertinentes a priori pour fixer des valeurs correctes. Les sondages aussi bien que les élections ne permettent pas à tous les partenaires d’être évalués, surtout s’ils ne sont pas à même de se présenter aux différents scrutins. Et un certain nombre d’électeurs votent par défaut pour un parti présent dans la consultation, vu que celui qui a leur préférence n’y figure pas, ou bien s’abstiennent. Aussi, la prise en compte de ces éléments entraînerait le renforcement de la domination de quelques partis déjà « installés » dans le paysage politique et empêcherait le renouvellement et l’enrichissement du paysage politique. Il faut donc être innovant.
En attendant que, dans l’avenir, soient mis en place des types de sondage différents (non attachés aux listes présentées, mais aux organisations elles-mêmes présentes dans le temps long sur la scène politique), il y aurait lieu de négocier une représentation de ces partis égale à celle qu’ils obtiendraient « en y allant seuls », tout en réservant une représentation minimale aux partis plus marginaux qui seraient susceptibles d’augmenter le score de l’union, grâce à un effet amplificateur lié à la remobilisation d’électeurs auparavant déçus de l’absence d’union. Des modèles (évolutifs) de clefs de répartition devraient donc être proposés pour chaque type de scrutin et validés en commun avant toute désignation de candidat.e.s.
Le programme d’abord, les porteurs ensuite Pour assurer la cohésion de l’union, il est primordial de construire collectivement un accord sur le programme, en reportant a priori tout débat sur le choix des personnes, en particulier des « têtes de liste », jusqu’à ce que ce travail soit terminé. Bien entendu, il faudra choisir des personnes compétentes pour constituer l’équipe (constituée de sous-groupes par sujet) qui élaborera ce document commun, mais cela incombera à chaque organisation partenaire. Par contre, une fois ce programme fixé, la logique voudrait qu’on recherche les personnes les plus aptes* et prêtes à le défendre. C’est l’application du principe : « le programme d’abord, les porteurs ensuite ». Et cela devrait valoir à tous les niveaux de scrutin, depuis les candidat.e.s aux municipales jusqu’aux membres du gouvernement et aux plus hautes fonctions de l’Etat.
* Evidemment, les critères d’aptitude pourraient être variables en fonction du type de scrutin, comme un ancrage local aux municipales ou une compétence technique élevée pour les ministères. Ils seraient à négocier et fixer dans le cadre des accords de rassemblement.
Un accord de législature / mandature
Pour chacune de ces échéances électorales, un accord de législature ou de mandature devra être négocié et les partenaires devront s’engager à le respecter. Il devra porter sur les aspects politiques, via la partie « Objectifs » de la Charte et aussi via le soutien au programme d’union. Il portera aussi sur les aspects électoraux et financiers, via la partie « Organisation » de la Charte et en particulier les dispositions relatives à la clef de répartition et au Conseil des sages ou au Comité d’Ethique. Mais il devrait aussi imposer chaque partenaire l’obligation de se conformer au sein de sa partie de liste à des critères justes de représentation sociale, professionnelle, géographique, générationnelle au moins. Les charges financières devraient être réparties suivant la clef de répartition, sauf si une des organisations partenaires proposait de contribuer au-delà de ses obligations, en échange d’un remboursement égal à sa contribution en cas de succès. Les dons des particuliers soutenant la liste pourraient être pris en compte pour compenser le manque de fonds lés à la présence de personnalités de la société civiles sur la liste.
Un gouvernement d’avance
La durabilité, la crédibilité et la stabilité de l’union devrait être assurée par la constitution, avant les élections législatives et présidentielle, d’un « gouvernement d’avance », constitué de personnes jugées compétentes et aptes à mener la politique prévue dans le programme. Etant donné qu’au long d’une législature, plusieurs ministres sont en général successivement nommés au même poste, il pourrait être envisagé de désigner un petit groupe de personnes (par exemple un trio élu au jugement majoritaire) qui pourraient se succéder à ce poste si nécessaire, tout en étant associées aux travaux pendant qu’une autre de ce groupe est aux affaires, ce qui assurerait une plus grande continuité et cohérence à l’action politique, mais aussi une représentation plus large et équilibrée des partenaires dans le gouvernement.
A l’issue de la constitution de ce « gouvernement d’avance », ses membres seraient appelés à désigner au jugement majoritaire, un couple paritaire de deux organisations différentes appelé à solliciter ensuite les postes de 1er Ministre et à la Présidence de la république. On pourrait imaginer d’élargir ce processus de désignation à deux autres personnes pressenties pour la Présidence de l’Assemblée Nationale et celle de la Convention pour la Réforme des Institutions.
Une Présidence discrète
Enfin, le changement de culture politique passe par une pratique différente des rapports entre le gouvernement et la Présidence de la République.
La personne chargée d’exercer la plus haute fonction de l’Etat serait ainsi amenée à s’engager à respecter les dispositions de la Constitution qui affectent la responsabilité de la conduite de la politique de la France au gouvernement et à son/sa Premier Ministre. Elle devrait donc s’engager à limiter ses interventions à la défense des institutions et notamment des libertés publiques, à rendre des avis qui rappellent les engagements pris par l’union et orientent de façon générale l’éthique de l’action publique, ainsi qu’à représenter la France, en partenariat et en accord avec le gouvernement.
Il s’agit d’une évolution de cette fonction vers l’exercice d’une autorité morale plutôt que d’une direction opérationnelle. Et cela devrait pacifier en partie la vie politique et atténuer les effets de la culture de compétition, en dissociant l’accès à cette fonction de l’ambition d’une carrière politique aboutissant à un pouvoir démesuré.
Tout reste à construire ensemble
FIN
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